« Quand ma mère a ouvert la porte, elle avait vu mon propre père, son mari, debout dans le salon, les pantalons descendus jusqu’aux chevilles. Il était en train de se masturber en me regardant. Il m’avait déshabillée et couchée nue, sur le divan ». Il s’agit d’un passage frappant du livre « Si on savait », écrit par une résidente et native de Jonquière, Suzanne Nadeau.
Dévoiler sa vérité au grand jour n’est pas chose facile, une expérience vécue par Mme Nadeau lors de l’écriture de son roman, qui s’est échelonnée sur une quinzaine d’années. Un 85 pages qui en dit long, passant des souffrances et sévices endurés étant enfant, à une adolescence perturbée, jusqu’au passage à l’âge adulte, une transition qui s’est effectuée non sans embûches. Un parcours qui lui a permis de croiser le chemin de plusieurs psychiatres et psychologues, de 1986 à aujourd’hui. Elle a notamment été suivie par le CLSC de Jonquière, le Centre L’Escale de Jonquière, l’Institut Roland-Saucier et par la Maison ISA de Chicoutimi.
« J’avais commencé à rédiger tout ça à l’époque, puisque mon psychiatre me l’avait conseillé. Mais c’est vrai qu’au début, j’avais des craintes de sortir mon livre en raison de ma famille. Je suis la deuxième de cinq enfants. Mes frères et mes sœurs ne savent pas que j’ai écrit un livre sur ma vie, ils sont contre le fait que je puisse m’exprimer à ce propos. Ils disent que je brise la famille. Faut savoir qu’à la maison, mon père agissait comme le papa que tout le monde aurait voulu avoir, sauf lorsqu’il s’acharnait sur moi », émet Mme Nadeau.
« Si on savait » est paru en 2024 aux éditions BouquinBec. Une vingtaine de copies du roman ont été imprimées, Suzanne Nadeau voulant d’abord partager son histoire à plus petite échelle. Elle a surtout emboîté le pas pour se faire du bien à elle, telle une thérapie.
« Je veux que le monde ouvre les yeux. Je veux que le monde réalise que oui, ça existe, et pour faire comprendre aux abuseurs tout le mal qu’ils peuvent faire. Les certaines personnes qui ont lu le livre ne croient pas que j’ai survécu à tout ça. Pourtant, j’ai tellement pleuré durant toutes ces années, j’ai tellement souffert. Il n’y a plus aucune larme qui coule maintenant », précise-t-elle.
Et Suzanne Nadeau se rebâtie, petit à petit. Elle prend maintenant plaisir à des choses simples de la vie et se ressource en voyageant avec son amoureux. Avec beaucoup de thérapies, de pleurs et de deuils, elle a appris à se connaître et à s’accepter. Elle demeure toutefois avec des séquelles de son passé, comme la dépression, qui arrive en vague.
Mme Nadeau a gagné gain de cause contre son père, au terme de procédures judiciaires qui auront duré trois ans. Ce dernier a été accusé de grossière indécence et d’attentat à la pudeur le 9 mai 2009 et a reçu une sentence de 16 mois.
Prendre la parole
Suzanne Nadeau croit qu’encore beaucoup trop de ces drames familiaux surviennent en 2025 et que les victimes ne doivent pas craindre de prendre la parole avant qu’il ne soit trop tard.
« C’est certain que les situations sont toutes différentes, mais il ne faut pas hésiter à parler. Il y a en tellement trop encore, des cas d’abus. Ces enfants-là, ils sont brisés. Ils restent traumatisés à vie de ça. C’est pourquoi c’est si important d’en parler. Il ne faut pas avoir peur de dire les bons mots. »