Voici les grandes lignes du procès opposant le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) à la mairesse de Saguenay, Julie Dufour. Les audiences qui se sont déroulées au cours de la dernière semaine étaient présidées par le juge Louis Duguay de la Cour du Québec. Rappelons que Julie Dufour est accusée de manœuvres électorales frauduleuses, et qu’elle pourrait être déclarée inapte à siéger pour une durée de cinq ans si elle est reconnue coupable.
Les faits reprochés à l’actuelle mairesse de Saguenay remontent à la campagne électorale de 2021, alors que Mme Dufour aurait offert à deux candidats à la mairie et à un candidat potentiel de se retirer en échange de considérations futures, ce qui est illégal au sens de la loi. Une plainte à cet effet a été déposée par l’ex-mairesse Josée Néron. On parle de l’ex-député Serge Simard, de Jacinthe Vaillancourt et de l’actuel conseiller Jean-Marc Crevier. Mme Dufour est représentée par Me Charles Levasseur, alors que le DGEQ est représenté par les avocates Laurie Mongrain et Natacha Dupuis-Carrier.
Le procès s’est amorcé mardi avec les témoignages de l’analyste-enquêteur Pierre Dufour, de l’ex-mairesse Josée Néron et de l’échevin Jean-Marc Crevier.
Témoignage de l’ex-mairesse
Appelée à témoigner, l’ex-mairesse Josée Néron a raconté avoir croisé Jean-Marc Crevier lors d’un repas au restaurant en mai 2021, et avoir alors appris de ce dernier qu’il avait reçu l’offre de devenir négociateur pour la ville de la part de Julie Dufour, en échange d’un retrait de sa part de toute participation à une campagne à la mairie de Saguenay en novembre suivant, Mme Dufour ayant l’intention de se présenter. « Mon chef de cabinet Luc Desbiens assistait alors à ce souper, et a spontanément dit à M. Crevier que c’était illégal ». L’ex-mairesse a avoué avoir fait le choix de déposer la plainte à la Commission municipale du Québec (CMQ) « en portant le flambeau », selon ses dires.
Jean-Marc Crevier s’amène
Le conseiller municipal Jean-Marc Crevier a pour sa part raconté la rencontre qu’il a eu avec Mme Dufour au printemps 2021, au moment où il était connu qu’il songeait à se présenter maire. « Julie Dufour est venue me voir et, connaissant mes intentions, savait que je voulais me présenter aussi. Elle m’a alors fait part de son intention de se présenter comme mairesse, et m'a même demandé ce que je penserais d’elle comme mairesse. Je ne savais pas trop quoi lui répondre, je lui ai alors dit qu’elle ne pouvait pas être pire que d’autres avant elle ». Puis est arrivée la proposition qu’aurait faite Mme Dufour à son collègue, lui suggérant de renoncer à son idée de se présenter comme maire, et qu’elle le récompenserait avec un emploi de négociateur avec les syndiqués de la ville. Et pour Jean-Marc Crevier, il n’en était pas question.
Contre-interrogatoire de Crevier
Le conseiller Jean-Marc Crevier poursuivait son témoignage mercredi, interrogé cette fois par l’avocat de la défenderesse, Me Charles Levasseur. Le conseiller a avoué s’être fait rappeler à l’ordre par l’analyste-enquêteur du DGEQ, Pierre Dufour, d’arrêter de parler de la cause dans les médias et autour de lui. En ce qui a trait à la possible candidature de Jean-Marc Crevier comme candidat à la mairie, ce dernier a déclaré qu’il avait renoncé au projet en 2021 quand il a réalisé ce que ça incombait, notamment les besoins de bâtir une équipe de campagne et d’amasser des fonds. Cependant, il précise que la fameuse rencontre qu’il a eue avec Mme Dufour concernant l'intérêt de cette dernière de se présenter n’a joué aucun rôle dans sa propre décision « de ne pas y aller ». Puis est revenu le questionnement de Me Levasseur sur le fait que Jean-Marc Crevier n’ait pas porté plainte contre Julie Dufour suivant le fait qu’elle lui aurait fait la fameuse proposition de ne pas se présenter comme candidat à la mairie en échange d’un poste de négociateur avec les employés syndiqués de la ville. Jean-Marc Crevier a alors répété son propos de la veille, comme quoi « il ne voulait pas qu’une plainte de sa part ait une quelconque incidence » sur la campagne électorale de novembre 2021.
« Présente-toi pas »
L’ex-député Serge Simard a de son côté affirmé que Julie Dufour lui a bel et bien proposé de ne pas se présenter à la mairie pour la campagne électorale de novembre 2021. « Elle m’a appelé et je suis allé la rencontrer chez elle. On a eu une longue discussion pendant laquelle elle m’a dit “Présente-toi pas”. Et pour moi, il n’en était pas question. Elle ajoute alors qu’en échange de mon retrait, “y aurait pu avoir des considérations” ». Le candidat défait à la mairie de 2021 raconte qu’il n’a pas eu ensuite d’autre rencontre ou de discussion privée avec Julie Dufour, que le tout en était resté là. « Et puis un jour, j’ai appris par les médias l’existence de la plainte logée par Josée Néron, comme quoi M. Crevier s’était fait faire une proposition similaire de se retirer d’une éventuelle campagne à la mairie. Je ne savais pas que c’était illégal. J’ai contacté une station de radio pour leur dire que moi aussi, j’avais reçu une proposition de Mme Dufour comme quoi elle voulait que je me retire ».
« Tu n’y connais rien, tu ne réussiras pas »
Jacinthe Vaillancourt a été mise au courant en 2023 par les médias qu’une enquête était en cours. Elle avoue qu’elle était d’abord membre du comité électoral de Julie Dufour au printemps 2021. « Au fur et à mesure que le temps passait, j’ai constaté qu’il y avait un manque au niveau du travail d’équipe, qu’il y avait beaucoup de choses qui étaient décidées alors que les membres du comité n’étaient pas au courant. Julie Dufour et moi nous sommes rencontrées le 23 juillet. Je lui ai parlé de mes perceptions quant au comité, je lui ai dit que je songeais à me présenter. Elle, surprise, me dit que je n’y connais rien, que je ne réussirais jamais. On a discuté quelques heures, et après être sorties dehors, elle me demande de rester près d’elle, que je serais comme une mairesse, que je la seconderais dans ses futures tâches de mairesse ». Elle mentionnera que beaucoup plus tard, lors d’une réunion, Julie Dufour faisait le tour sur papier d’une liste de conseillers. « Arrivée au nom de M. Crevier, Julie a dit “lui, c’est réglé, il ne se présente pas, il deviendra négociateur ». Une déclaration de Mme Vaillancourt qui a semblé prendre par surprise la défense. Me Charles Levasseur, l’avocat de Julie Dufour, a questionné l’actuelle neuro-coach sur ses intentions de faire un « putsch » et de renverser Julie Dufour durant sa campagne 2021. Jacinthe Vaillancourt a répondu avec rapidité que son intention de se séparer du conseil électoral de Mme Dufour venait d’un amalgame de petits problèmes qui l’auraient mené, le 26 juillet 2021, à quitter le navire et de se présenter contre Mme Dufour et qu’elle voulait en aucun cas prendre la place de la mairesse actuelle.
Deux membres de l’Exécutif témoignent aussi
La Défense avait aussi ses deux témoins à faire entendre, en l’occurrence les conseillers membres de l’Exécutif Kevin Armstrong et Michel Potvin. Le premier a révélé que lorsque Jean-Marc Crevier a appris la candidature de Mme Dufour, il était fâché de la situation. Me Levasseur a demandé à Kevin Armstrong s’il avait entendu Julie Dufour parler d’offrir un poste à son collègue, en retour de son retrait. « Jamais », a-t-il répondu. Kevin Armstrong a ajouté que c’était extrêmement difficile de créer un poste de « négociateur » avec les syndicats, vu que c’est un poste qui est normalement occupé par un poste de haute fonction publique. Pour sa part, c’est le conseiller Michel Potvin qui aurait conseillé Mme Dufour d’avertir Jean-Marc Crevier de son intérêt à la mairie. Pour ce qui est de M. Crevier, Michel Potvin affirme qu’il aurait dévoilé à d’autres conseillers que Julie Dufour lui aurait proposé un emploi s’il quittait la course à la mairie, mais jamais à lui personnellement. Il a conclu son témoignage en disant que Julie Dufour ne lui a jamais offert de poste durant toutes les années où ils ont travaillé ensemble. Dans le contre-interrogatoire, le conseiller de Laterrière a déclaré que certaines personnes qui travaillaient avec Julie Dufour dans sa campagne en 2021 voulaient recevoir un potentiel poste en échange de leur travail. Michel Potvin précise toutefois que ce type “d’échange” ne s’est jamais concrétisé.
Les prochaines plaidoiries auront lieu le mercredi 14 mai à 9h00, toujours au palais de Justice de Chicoutimi.
La mairesse ne témoigne pas
Julie Dufour n’a quant à elle pas témoigné dans son procès. Ce sont donc deux déclarations écrites, rédigées respectivement les 22 mars et 15 mai 2024, qui font foi de sa version des faits. Mme Dufour nie d’abord les prétentions de Jean-Marc Crevier et Serge Simard, comme quoi elle aurait offert aux deux hommes de ne pas l’affronter en campagne électorale à la mairie en novembre 2021, en échange de considérations futures. Elle dit croire être l’objet d’une vengeance politique et de critiques. Concernant son adversaire à la mairie Serge Simard, elle confirme l’avoir rencontré, mais dans le but de mieux connaître les intentions de ce dernier quant à la mairie. La mairesse souligne le fait qu’elle a rapidement compris que Serge Simard s'était déplacé pour tenter de la convaincre de lui laisser libre passage en retirant sa candidature et en I'appuyant. « Monsieur Simard a, tout de suite, été condescendant à mon égard et m'a mentionné que j'étais trop jeune pour me présenter, que jamais je ne passerais, donc que je devrais “me coucher” et que c'était à son tour d'être maire ». Dans son second affidavit du 15 mai 2024, la mairesse Julie Dufour déclare qu’elle n’a en aucun temps offert un emploi dans le but de convaincre Jacinthe Vaillancourt de ne pas se présenter à la mairie contre elle en 2021. La mairesse avance aussi avoir appris que Mme Vaillancourt a tenté de prendre sa place au sein de sa propre équipe électorale. « On m’avise que malgré cette tentative de putsch, madame Vaillancourt n’a jamais évoqué son désir de se présenter ‘’contre moi’’, elle voulait simplement se présenter ‘’à ma place’’ ».