Dans un petit atelier discret de Chicoutimi, Pierre Girouard s’affaire à prolonger la vie des livres, un volume à la fois. Dernier relieur professionnel actif au Saguenay–Lac-Saint-Jean, il façonne depuis 35 ans des ouvrages solides et durables, à contre-courant de la dématérialisation ambiante.
« Quand on m’apporte un livre usé, je vois encore de la valeur, pas un rebut. Je suis un peu le dernier rempart entre la bibliothèque et le bac de recyclage », dit-il avec un sourire en coin.
Seul à bord de son entreprise depuis deux ans, Pierre Girouard a vu la demande chuter de 60 % en 15 ans. Mais il refuse de baisser les bras. « J’aime encore ce que je fais. Je me rends à la retraite tranquillement, à mon rythme. »
Résister à l’usure du temps
Son carnet de commandes, bien que plus léger, se remplit encore grâce à une clientèle locale fidèle : romans à réparer, livres de recettes à relier, mémoires familiales à imprimer et à assembler.
« Les gens veulent quelque chose qui dure, surtout quand c’est un projet personnel. Je m’occupe de tout, de la photocopie à la couverture, jusqu’à la reliure finale. »
Loin de l’image romantique de l’artisan entouré de cuir et de vieux papiers, le métier demande une endurance bien réelle. « C’est physique, exigeant, et ça prend des années à maîtriser. Ce n’est pas facile d’attirer une relève. »
Le prix de la qualité
Dans son atelier, la colle est appliquée généreusement et le bougran – ce tissu raide en coton qui recouvre les couvertures rigides – se fait de plus en plus rare et coûteux.
« Une verge de bougran peut coûter jusqu’à 28 $, et la feuille de carton est rendue à 3,50 $. Ça monte vite. Mais les clients comprennent : ce n’est pas un café chez McDo que je vends.»
Une mission de papier
Malgré les défis, Pierre Girouard n’a aucun regret. « Mon but, dit-il, ça a toujours été de sauver des livres. C’est modeste, mais c’est utile. Et le jour où l’informatique plantera pour de bon, ce qu’il restera, ce sont les livres. »