Actualités

Temps de lecture : 4 min 0 s

À 96 ans, Roméo Gagnon raconte la guerre de Corée

Jean-François Desbiens
Le 12 janvier 2023 — Modifié à 12 h 42 min le 12 janvier 2023
Par Jean-François Desbiens - Journaliste

Roméo Gagnon, l’un des derniers vétérans canadiens qui a pris part à la guerre de Corée, vient de célébrer son 96e anniversaire de naissance à Chicoutimi, entouré de ses proches. M. Gagnon s’était illustré durant ce conflit armé et a été décoré pour sa bravoure au combat.

Encore aujourd’hui, il a toujours une excellente mémoire et s’exprime très clairement. Il se rappelle très bien qu’il n’avait que 21 ans lorsqu’il s’est enrôlé dans les Forces canadiennes.

« Je demeurais avec ma sœur à Chicoutimi-Nord et j’avais entendu dire qu’il recrutait des hommes pour aller combattre en Corée. J’étais dans la réserve, mais j’en voulais plus. Je l’ai fait pour l’aventure au départ. Après six mois d’entraînement à Québec, puis six autres mois aux États-Unis, on a été envoyé en Corée en 1952 sous l’égide des Nations-Unies pour aider les Américains. »

La mission de son peloton était de reprendre le terrain occupé par l’ennemi en direction de Séoul, puis le repousser, mais il a dû patienter.

« Une fois sur place, on a constaté que nos armes n’étaient pas arrivées. Ça nous a pris quatre jours pour avoir des armes. Les premières qu’on a eues n’avaient que des balles à blanc pour faire du bruit. Une fois qu’on a eu de vraies balles, on est passé au combat. »

Nettoyer le terrain

Après avoir protégé d’autres militaires qui travaillaient à la reconstruction d’un pont temporaire enjambant une rivière, le soldat de première classe Gagnon, du 2e bataillon membre du 22e régiment, a nettoyé des montagnes, comme il le dit.

Les conditions du terrain et de la météo étaient difficiles, notamment en raison de la présence de barbelés à franchir, de la boue et de l’humidité, mais il s’agissait surtout de tenir des positions défensives. Le groupe a essuyé quelques tirs d’obus de mortier ou d’artillerie, sans subir aucune perte.

La situation a cependant soudainement changé.

« À notre droite, le peloton 6 attaquait et s’est fait stopper en partant. Mais l’ennemi ne faisait pas attention à nous. On a donc attaqué et on a tué environ 80 personnes avec 30 hommes. On n’a eu aucun blessé. »

Un excellent réflexe

Un peu plus tard durant la même journée, un combattant ennemi est sorti d’un trou dans le sol camouflé avec un arbre sur le dessus. Roméo Gagnon, qui retransmettait alors sur le terrain les ordres d’un officier, a alors eu un excellent réflexe, qui lui a valu sa médaille de bravoure.

« Le gars est sorti et a lancé une grenade dans notre direction. Une grenade, ça prend de trois à quatre secondes, parfois cinq, pour exploser. On ne sait jamais combien au juste. Je l’ai attrapé et je l’ai renvoyé dans leur direction. Si je n’avais pas fait ça, les quatre personnes autour de moi auraient été mises hors combat. Et il n’y aurait plus eu personne pour transmettre les ordres. »

Gagnon a combattu environ un an en Corée. Malgré tout ce qu’il a fait, il refuse le qualificatif de héros.

« Je ne suis qu’un homme ordinaire. S’il y avait des héros, il faudrait remettre des médailles de bravoure à tous les soldats. On est une confrérie qui se protégeait, on travaillait en groupe et je ne suis qu’un des 30 hommes qui formaient notre peloton. »

Militaire dans l’âme

Aujourd’hui presque centenaire, Roméo Gagnon vit seul et de façon autonome dans son logement, entouré de souvenirs. Et il ne regrette pas du tout son passé militaire.

« Si c’était à refaire, je le referais. Je suis un militaire dans l’âme moi. L’armée m’a donné une discipline. Avant, je n’étais pas très stable sur mes jobs. Quand j’étais tanné, je changeais de travail. L’armée m’a beaucoup appris, m’a éduqué et ça m’a stabilisé dans ma vie. Je n’avais pas d’éducation et la vie était difficile. »

Après avoir commencé à travailler dans des camps de bûcherons dès l’âge de 13 ans avec ses parents, Roméo Gagnon affirme n’avoir jamais arrêté par la suite.

« Je me souviens que durant ma première job, j’ai été sur un chantier avec ma mère qui était cuisinière et mon deuxième père qui était contremaître. Moi, je faisais l’entretien des camps, j’amenais de l’eau, je faisais la vaisselle et je pelais les patates. J’ai aussi travaillé pour plusieurs compagnies. J’ai entre autres travaillé un hiver pour l’Alcan en déchargeant de la bauxite. J’ai fait de la drave sur la rivière à Mars. »

Roméo Gagnon a également été victime d’un grave accident d’automobile.

« J’ai été arrêté de travailler durant six mois parce que j’avais été blessé à la colonne vertébrale. Les médecins m’avaient dit que je ne remarcherais jamais. J’ai été voir un ramancheur qui m’a réparé. Et j’ai remarché. »

Guerre de Corée

Interrogé sur la guerre de Corée en particulier, M. Gagnon s’estime évidemment chanceux de s’en être sorti vivant, parce que plus de 500 Canadiens ont péri lors de ce conflit.

« Oui ça fait apprécier davantage la vie. La guerre, c’est horrible. Il faut se battre dans des montagnes, sans rien voir. Des obus nous tombent dessus, sans qu’on les voie venir. Le premier trou que tu trouves pour te cacher, tu entres dedans. Il y a aussi du corps à corps. C’est impossible de ne pas avoir peur. Ceux qui disent ça sont des menteurs. »

Rappelons que la guerre de Corée a commencé le 25 juin 1950, au moment où des troupes nord-coréennes ont envahi la Corée du Sud. Les forces des Nations Unies se sont jointes rapidement au combat qui fera rage jusqu'à la signature de l'armistice le 27 juillet 1953. Plus de 26 000 Canadiens ont servi sur terre, en mer et dans les airs pendant ce conflit. De ce nombre, 516 Canadiens sont morts. Longtemps considérée comme une guerre oubliée, la guerre de Corée est maintenant reconnue comme un important chapitre de l'histoire militaire du pays.

 

 

Abonnez-vous à nos infolettres

CONSULTEZ NOS ARCHIVES