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Questions et réponses avec… Michel Roche spécialiste de la Russie et professeur à l’UQAC

Le 07 octobre 2022 — Modifié à 17 h 32 min le 07 octobre 2022
Par Julien B. Gauthier

Dans chaque édition du Réveil, nous vous proposons une entrevue avec une personnalité de Saguenay. Cette semaine, nous rencontrons Michel Roche, expert de la Russie et professeur en science politique à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), afin de démystifier le conflit russo-ukrainien.

Vous êtes l’un des rares experts de la Russie au Québec. Comment vous êtes-vous d’abord intéressé à ce sujet?

À l’université, je voulais faire mon mémoire de maîtrise sur la question nationale au Québec. Mais on m’avait découragé en me disant qu’il y avait plein de projets de mémoire qui portaient sur cette question-là, et que je serais mieux de chercher autre chose.

En retournant chez moi, j’ai pris le globe terrestre et je me suis demandé où y’aurait-il le plus de chances qu’il y ait des changements politiques. Il y avait le Brésil, qui traversait une crise économique, mais aussi l’URSS.

J’avais un intérêt assez évident pour le socialisme, pour le marxisme et j’avais quand même des bases sur la Révolution russe.

J’ai donc fait ma maîtrise sur la Glasnost et la Perestroïka. Au doctorat, j’ai poursuivi dans la même veine. J’ai voulu démontrer que la raison fondamentale du caractère autoritaire du régime réside dans la transition au capitalisme elle-même et non pas parce que ceux qui étaient au pouvoir n’avaient pas de culture démocratique.

J’ai notamment suivi des cours de russe à Moscou en 1990. Là-bas, j’ai été témoin de plusieurs choses, j’ai participé à des manifestations, j’ai failli manger un coup de matraque. J’ai eu la chance de voir ça en direct.

Pourquoi la Russie est-elle entrée en guerre avec l’Ukraine?

Il faut revenir à l’effondrement de l’URSS. Ça avait permis aux États-Unis de s’imposer comme puissance hégémonique absolue pendant quelques années.

De son côté, la Russie s’est fait promettre des choses par les États-Unis, notamment que l’OTAN n’allait pas progresser d’un pouce.

Il n’y a eu cependant aucun traité de signé. Les Soviétiques n’avaient pas la même mentalité. Pour eux, la parole d’un dirigeant était aussi sacrée qu’un document écrit.

Avec l’Ukraine qui veut être membre de l’OTAN, ça signifie que la base militaire de Sébastopol (une base sous contrôle russe) en Crimée fasse partie de l’OTAN. La volonté de l’Ukraine de joindre l’Union européenne signifierait aussi des faillites économiques.

Poutine voulait la garantie que l’Ukraine ne fasse pas partie de l’OTAN. Les États-Unis ont refusé de donner ces garanties. C’est notamment pour ça que Poutine a commis ce geste. Il y a une part de responsabilité évidente venant de notre camp.

Pourquoi les États-Unis ont-ils fait cela? Ils n’acceptent pas de perdre leur statut de puissance mondiale. Les États-Unis cherchent à retarder le plus longtemps possible la montée de la Chine, car une alliance Chine-Russie, ce serait particulièrement puissant. Ça passe entre autres par la nécessité d’affaiblir la Russie elle-même.

Les États-Unis se servent des Ukrainiens pour affaiblir la Russie. On leur envoie des armes. L’armée russe s’épuise et Poutine peut éventuellement être menacé de s’effondrer aussi.

Les États-Unis veulent retarder l’inévitable.

Y’a-t-il de l’opposition pour la guerre à l’intérieur même de la Russie?

Le régime est extrêmement répressif, mais il reste qu’il y a de plus en plus de voix politiques qui s’élèvent. Notamment chez les élus municipaux, parce qu’on ne peut pas les référer devant un tribunal, car ils jouissent de l’immunité. Ça ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas se faire tuer ou casser les jambes.

Certains ont commencé à parler. Les dirigeants de l’entreprise Lukoil ont commencé à parler contre cette guerre. Au sein de Gazprom, il y a eu plusieurs morts bizarres de hauts dirigeants…

Est-ce que Poutine commence à sentir la soupe chaude?

C’est difficile à dire. On apprend tout à coup qu’il a annulé ses rendez-vous avec les dirigeants de l’armée et qu’il est parti à Sotchi. Sur le coup, je me suis posé la question : est-ce que Poutine s’éloigne de la capitale parce qu’il y a des rumeurs de tentative d’assassinat que ses services secrets ont détecté? Je ne sais pas.

Depuis le début, je n’ai jamais exclu la possibilité d’une révolution de palais, c’est-à-dire que dans les cercles dirigeants, on considère que ça tourne à la catastrophe. Qu’il y ait du monde qui veut voir disparaitre Poutine, c’est bien probable.

Ça pourrait expliquer son comportement. Ces choses-là, on les saura peut-être dans quelques années.

Vladimir Poutine jouit d’un taux de popularité de 83 %. Pourquoi est-ce si élevé?

Ce taux s’explique. Ça ne veut pas dire que le monde est d’accord avec ses politiques. La première chose, c’est que Poutine empêche toute autre tête de dépasser. L’attention est toujours sur lui. À cause de ça, il apparaît comme indispensable.

La télévision ne peut pas parler en mal de lui. Elle peut parler en mal du gouvernement, mais pas contre Poutine. Ce qui fait que le gouvernement est généralement impopulaire, mais le président est populaire. Donc il a l’air indispensable. Quand il y a un mauvais coup, c’est la faute du gouvernement. Quand il y a un bon coup, c’est grâce à Poutine.

Il y a aussi le fait que la population russe a connu les terribles années de la thérapie de choc. Et Poutine est arrivé au moment où les choses commençaient à mieux aller, alors on l’associe à la renaissance de la Russie au début des années 2000.

On sent en Russie qu’on a été humilié par l’Occident pour toutes sortes de raisons.

À quelque part, un président qui se tient debout devant l’occident, ça rachète des humiliations.

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