Chroniques

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Introspection professionnelle

Serge Tremblay
Le 17 avril 2023 — Modifié à 10 h 33 min le 17 avril 2023
Par Serge Tremblay - Rédacteur en chef

Jasette de la gazette

J’écris ces lignes en ce 12 avril 2023, ce qui marque mes 13 ans de service à titre de journaliste. En soi, ce n’est pas un mauvais score dans le monde du travail d’aujourd’hui, qui consiste à changer d’emplois aux deux ou trois ans, si ce n’est davantage.

Bien sûr, il y a dans la faune journalistique de vieux routiers qui cumulent quelques dizaines d’années d’expérience et qui disposent d’une perspective beaucoup plus large que la mienne. Néanmoins, je me sens une compréhension suffisante de ce milieu pour en parler en connaissance de cause.

Ce métier, qui fut très recherché, voire glamour, à une autre époque, n’est plus ce qu’il était. Jadis (bien avant moi!), on faisait la file pour avoir une chance d’y faire carrière et on était prêt à accepter des conditions d’entrée que l’on pourrait qualifier sans rire de cheap labour.

Les journalistes se trouvent aujourd’hui dans les mêmes parages que les vendeurs d’automobiles usagées dans l’échelle de la confiance du public. Pour qu’on me comprenne bien, je ne m’en plains pas, j’énonce un état de fait. Je ne dis pas que c’est mérité ou démérité, il y a sans doute de bonnes raisons de croire que c’est le cas dans un sens ou dans l’autre.

Ce que je sais, cependant, c’est que le métier est incompris à plusieurs égards et parfois même par ceux qui l’exercent. Il y a des journalistes qui font dans le militantisme de façon plus ou moins subtile, ce qui rejaillit négativement sur l’ensemble de la profession à mon humble avis. Il y aussi les chroniqueurs de carrière, que les gens confondent pour des journalistes. Enfin, il y a également, dans le public, des personnes de fort mauvaise foi qui nous imputent constamment des arrière-pensées et des agendas cachés.

Cela vient avec le métier à l’ère des réseaux sociaux. Beaucoup de gens ont des opinions et vont vous le faire savoir de toute sorte de façons que vous le vouliez ou non. Parfois ils sont très aimables et polis, d’autres fois leurs propos sont grossiers et orduriers. Je n’ai pas réalisé de sondage, mais je parie sans avoir peur de me tromper que c’est le facteur numéro un chez les journalistes qui décident de quitter le métier.

La réalité, c’est que le journaliste moyen prend un sujet et tente de le vulgariser au mieux en recueillant des faits et des commentaires dans un temps souvent très restreint. Le quotidien d’un média en région n’est pas une affaire d’enquête poussée avec des moyens en conséquence. Cela n’empêche pas les journalistes de le faire de bon cœur en y mettant autant de rigueur que possible dans les conditions qui leur sont imparties.

Ce qui m’amène au vrai problème du journalisme : l’instantanéité. Cette réalité a commencé à faire son apparition avec l’avènement des chaînes d’information continue et a pris de l’ampleur avec l’Internet et les réseaux sociaux. Il faudrait être sur tout, tout le temps, tout de suite, ce qui, vous l’aurez compris, n’est pas tellement compatible avec la notion de profondeur que l’on souhaiterait généralement donner à un sujet.

Ironiquement, avec l’ère de l’instantanéité est arrivée la démocratisation du web qui a profondément érodé le modèle d’affaires des médias. Conséquence : les salles de nouvelles ont été réduites à maintes reprises au même moment où il fallait être vite, vite, vite sur tout.

Alors que les médias peinent à trouver une nouvelle voie, le modèle en place est celui du clic. Il faut obtenir des clics afin de pouvoir remplir des objectifs publicitaires, ce qui favorise des pratiques douteuses comme des titres de type « clickbait » ou des sujets racoleurs et people au détriment d’une information que l’on voudrait plus pertinente pour la société.

Je ne me fais pas ici le prêcheur du haut de sa colline qui fait la morale. Tout média, quel qu’il soit, a été coupable de cette approche à des degrés divers à un moment ou un autre.

En treize ans, j’ai le sentiment d’avoir vu ce phénomène s’accélérer au même rythme où le climat social, en regard à certains enjeux, est devenu plus toxique. Pour ceux et celles qui ont commencé leur carrière sur une vieille machine à écrire avec la cigarette au bout des lèvres, le contraste doit être saisissant.

De quoi sera fait l’avenir de ce métier? Le jeu des prédictions est bien dangereux, mais j’aime à croire que l’on aura toujours avantage à être collectivement informés sur ce qui se passe chez nous.

Quand les choses deviennent trop compliquées, il faut parfois revenir à la base. Et la base, dans ce cas-ci, c’est d’informer. Merci de nous suivre, aussi imparfaits sommes-nous.


Chaque semaine, un membre de l’équipe de Trium Médias prend parole sur un sujet de son choix, c’est La Jasette de la gazette.

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